L'enfer est pavé de bonnes intentions

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"Aujourd'hui, plusieurs nations – l'Allemagne et la Suisse entre autres – ont reconnu l'utilité de la flûte douce au point de vue pédagogique. 

Une heureuse innovation se dessine en France. On remet en usage, après certaines modifications et perfectionnements, le simple pipeau d'autrefois.

Nous devons particulièrement remercier ici Monsieur l'Inspecteur Delfolie, de l'Enseignement Primaire. Sa campagne en faveur du pipeau et des belles chansons de notre folklore lui vaut la gratitude de tous les musiciens sincères.

Répandu partout dans nos écoles, et mis entre les mains des tout petits, le gracieux pipeau développera dans toutes les classes le goût de la musique et apportera de la variété aux fêtes. L'étude extrêmement facile de ce petit instrument contribuera à sa diffusion et sera une base solide pour la culture musicale de nos jeunes écoliers."


E. Van de Velde, préface de Pipeaux, cours élémentaire et gradué de flûte douce, Tours, 1931 (le paragraphe en italiques est d’origine). Trouvé dans un vide-grenier par mon amoureux, que la couverture amusait fort mais qui, n'ayant pas passé son enfance en France, c'est-à-dire avec une flûte en plastique dans son cartable, ne pouvait pas mesurer toutes les funestes vibrations de cette préface. Pauvre flûte à bec, qui se remet difficilement de la rancœur de plusieurs générations d'écoliers… (On doit cependant à la vérité historique de dire que ce n'est pas exactement d'elle qu'il est question dans cet ouvrage, mais bien du simple pipeau, sans trou du dessous ; mais il me semble significatif qu'à l'école j'aie souvent entendu appeler "pipeau" notre flûte à sept schtroumpfs.) A présent que – il me semble ? – elle est abandonnée par l'Education Nationale, retrouvera-t-elle sa place d'instrument de musique à part entière ? Il faudra quelques décennies, sans doute. 

Vous souvient-il des fausses interviews de Raphaël Mezrahi, quand ce dernier jouait le journaliste ignare, lent, naïf et occasionnellement susceptible, de sorte que ses victimes étaient tiraillées entre la tentation de plus en plus irrésistible de se payer sa fiole et la crainte empathique de le blesser ? Un jour il eut Jack Lang pour proie, une proie qui, si ma mémoire est exacte, resta élégante et courtoise jusqu'au bout… ou presque : quand Mezrahi proposa, pour terminer, de rendre hommage à l'inventeur de la Fête de la Musique en lui jouant un air à la flûte à bec en plastique, on vit Lang sursauter pour de bon et s'écrier en substance : "ah, non, par pitié, je ne supporte pas cet instrument !" Tout était dit : même le ministre de la Culture le plus marquant depuis Malraux, le chantre du droit égal de toutes les formes de culture, le créateur du jour où se célèbre l'accessibilité de la pratique musicale à tout un chacun, même cet homme n'avait pu pardonner au "pipeau" bourreau et martyr… Pauvre, pauvre flûte à bec.