Interlude : Cole Porter, Cole Porter, Cole Porter (et Woody Allen et Boris Vian)

Je sors de «Midnight in Paris», et je dois confesser que je ne m’attendais pas à apprécier à ce point. Autant je suis une victime facile pour Woody Allen, autant la mystique parisienne Lipp-Moulin-Rouge-Montmartre-St-Germain me laisse d’ordinaire de glace; mais c’est que le vrai plaisir du film est ailleurs. Je me suis surprise, voyez-vous, en flagrant délice par procuration à l’idée de me retrouver, par Owen Wilson interposé (ce qui ne gâte rien), nez à nez avec Cole Porter. Chacun verra midi à sa porte dans le grand casting rêvé par Allen, et se fixera qui sur les Fitzgerald, qui sur Picasso ou Hemingway. Pour moi, on me le pardonnera, j’espère, mais c’est de Cole Porter qu’il s’agit.


Je suis tombée amoureuse des chansons de Cole Porter, et j’imagine que je ne suis pas la seule, en les écoutant chez des amis, sublimement réinterprétées par Ella Fitzgerald et un orchestre qui avait mangé du lion (album toujours disponible et que le Ministère de la Santé devrait rendre obligatoire dans tous les foyers). Evidemment, avec un paquet-cadeau pareil, même la danse des canards prendrait des airs de fête; mais les chansons de Porter ne sont pas la danse des canards, ce sont des bijoux spirituels et précis, qui parlent des mille façons d’aimer, de l’élégance des perdants, des bleus au cœur dont on ne meurt pas – et de sexe aussi, dans une crudité ironiquement voilée à laquelle la censure ne faisait que poser un stimulant défi, mais toujours avec cet art inouï de boucler les boucles sans un cheveu de travers. Ce sont des chansons par excellence, des chansons-chansons: leur fond est dans leur forme, leur poids dans leur art consommé de la légèreté – Fred Astaire rôde dans toute cette histoire et ce n’est pas un hasard! Quand on a fini d’en chanter une, on a envie de la reprendre immédiatement pour retourner à cette jubilation, à cet élan souriant, grisé et discrètement mélancolique, à cette espèce de complicité du musicien avec la voix du chanteur… 


Voui, je comprends qu’on puisse rêver de voyager dans le temps pour entendre Cole Porter au piano. D’ailleurs pour ma part, il y a longtemps que je le fais (rêver, pas voyager, hélas!), et notamment à propos d’un autre auteur-compositeur du passé: Boris Vian… Je ne vénère pas particulièrement ses romans, mais l’étendue et la diversité de son œuvre m’interroge et j’ai une place bien au chaud dans ma tête pour la force troublante, l’espèce de noirceur d’enfant trahi que dégagent ses chansons, même les plus drôles, en particulier quand il les chante lui-même. Et pour compléter le tableau je recommande, aux âmes averties et au-dessus de dix-huit ans, la vigueur et l’ironie décoiffante de ses Ecrits pornographiques