*Ambassadeurs, Echelle et terre inconnue

«Je ne savais pas que tu chantais des polyphonies Renaissance !», m’a-t-on dit plus d’une fois la semaine dernière. Pour tout dire, moi non plus. Mais l’invitation de Charles Barbier et Caroline Marçot, de l’ensemble l’Echelle, de chanter en remplacement de Caroline pour le festival de Lanvellec était de celles qui ne se refusent pas ; ou plutôt qui ne se refusent plus, après qu’à mes protestations d’ignorance Charles ait répondu qu’elle ne s’adressait pas à une Marthe-chanteuse-Renaissance effectivement inexistante, mais à la Marthe qu’ils connaissent depuis longtemps, avec son expérience particulière des couleurs vocales, de la modalité et de la musique d’ensemble. Charles et moi nous sommes connus, tout bébés, dans la classe de chant d’Agnès Brosset, et Caroline, compositrice, a plusieurs fois écrit pour Mélisme(s) où Charles a aussi maintes fois chanté. Il connaît enfin ma voix sous un autre angle encore : c’est par son entremise que j’ai fait partie des chanteurs testés par Sylvain Lamesch dans son travail sur les mécanismes vocaux (si vous êtes vraiment curieux, p. 42 du lien, c’est moi!). Bref, je pouvais me dire qu’ils savaient ce qu’ils faisaient en m’invitant dans leur programme Lassus / Monteverdi, «Les Ambassadeurs». Ils m’ont, en outre, concocté un planning de répétitions digne de l’acclimatation d’un panda hypersensible.


Le concert était vendredi dernier, dans l’église de Cavan – marrant, d’ailleurs, d’être pratiquement à domicile pour des premiers pas en terre inconnue. Quatre jours, un fest-noz, un concert et une trachéite plus tard (non, il n’y aucun rapport de cause à effet entre Roland de Lassus et l’inflammation présente de ma trachée ! Les soupçons des enquêteurs se portent plutôt sur les trains, le hasard et le célèbre effet «petit créneau à la maison»), j’y suis encore…


D’une part parce que, les mécanismes d’apprentissage étant ce qu’ils sont, l’assimilation cérébrale continue à me faire entendre les pièces les unes après les autres.


D’autre part parce que tant la préparation, avec Caroline et Charles, que les derniers jours et le concert, avec Véronique Bourin et les instrumentistes Lambert Colson, Emmanuel Vigneron et Jean-Jacques Herbin, ont été l’occasion pour moi d’un joyeux remue-ménage vocal, une rare raison de remettre tout mon meccano sur la table pour en réagencer les pièces en fonction d’un langage nouveau, d’aller revisiter toutes les expériences pour en tirer ce qui pourrait servir cette musique-là et/ou s’en trouver éclairé ; de cela non plus, je ne suis pas pressée de sortir.


Enfin parce que – et cela ne s’explique jamais tout-à-fait – les atomes crochus ont croché aussi vivement que les harmoniques. Tout aurait pu être très compliqué, et tout a été extrêmement simple, grâce à l’élégance des membres de l’ensemble envers la nouvelle venue, à leur sens du sérieux dans le travail et de la légèreté tout autour. Décrire ce qui peut circuler entre musiciens sur scène est un défi devant lequel je recule une fois de plus, parce que cela relève à la fois de l’indicible et de l’intime – l’intime d’autres que moi, de surcroît. Mais qui dit musique nouvelle dit aussi nouvelles circulations, et c’est là encore un autre ingrédient du délicieux, stimulant et revigorant repas que je suis encore en train de digérer.


Et puis, est-il besoin de le dire, quelle musique… Je connaissais déjà l’album Lassus de L’Echelle, mais c’est une chose de regarder tourner cette palpitante horlogerie, et une autre de se retrouver à l’intérieur de ses rouages. Là aussi, une nouvelle combinaison d’énergie, de concentration, de tout ce qui vous prend quand les engrenages fonctionnent… J’ai déjà parlé ici même des violents bonheurs de la rencontre des fréquences ; l’écriture de Lassus et de Monteverdi et la démarche spécifique de L’Echelle étaient l’occasion de les rencontrer sous de nouvelles formes, c’est-à-dire de prendre une nouvelle louchée de ma drogue préférée… Que je me suis sentie bien chez vous, messieurs-dames ! Je ne sais si et quand vous aurez besoin de m’y convier à nouveau, mais c’est bien volontiers que j’y retournerai.