Temporalité, musique et salle de gym

Cohabiter avec une matière, c’est découvrir ses merveilles dans les recoins les plus incongrus.


Il y a dans la musique une composante de mesure du temps qui passe, et dans le fait de mesurer le temps quelque chose d’essentiellement musical – l’un et l’autre enchaînement de cycles, depuis la fréquence sonore jusqu’au battement de l’horloge, à la mesure musicale, au couplet – dont je découvre sans cesse de nouvelles façons de benoîtement m’étonner. Parmi elles, la façon dont ces deux aspects interagissent avec le corps en mouvement.


Ainsi, un chanteur qui doit tenir une longue note trouvera la chose considérablement plus aisée s’il en mesure la durée, soit en suivant mentalement le rythme, soit en comptant tout simplement ses temps.


Moins glamour mais tout-à-fait similaire, depuis que j’ai pris un abonnement pour régulièrement suer sang et eau dans un club de gym au son de tubes des années 80 remixés (décidément il ne faut jamais dire jamais!), je remarque sans cesse à quel point un même mouvement devient plus facile lorsqu’on le synchronise avec la musique (même si celle-ci est une resucée d’une chanson qui vous détestiez déjà au collège!) (1), et se mue en bagarre insoutenable s’il faut le faire en-dehors du rythme ne serait-ce que trente secondes. Je rapproche cela de la détresse dans laquelle peut sombrer un chanteur débutant qui se concentre exclusivement sur «les choses à faire» au lieu de considérer le morceau dans son ensemble, d’épouser son rythme, de se laisser entourer et porter par l’accompagnement éventuel ; il se retrouve alors contraint à un effort immense et toujours insuffisant parce qu’il essaie de faire seul ce qu’il devrait faire en collaboration avec ses partenaires et avec la musique – un peu comme quelqu’un qui ne sait pas nager gesticule à outrance et coule quand même parce qu’il essaie de se porter lui-même sans tirer profit du soutien de l’eau.


La musique (si, si, même Village People repassé au moulin à légumes!) jalonne des géographies précises dans l’écrasante indéfinition du temps. Avancer dans ce dernier cesse alors d’être une chute pour devenir une suite de progressions de points en points entre lesquels il devient possible de doser l’effort à fournir. Et je dois dire que je trouve à la fois savoureux et fascinant de voir ce phénomène s’exercer de la même façon, que l’effort en question consiste à pleurer, à tenir un si bémol dans la plus transcendante des œuvres ou à travailler son fessier gauche.




(1): A ce sujet, j’ai tout de même fait usage, une fois et une seule, de mon droit de véto: je suis prête à beaucoup de choses, je veux bien souffler en ramant, cramoisie, dégoulinante et dans une position pas exactement flatteuse, mais je ne veux pas que pendant ce temps-là Michel Sardou entonne: «Femme des années 80 / Mais femme jusqu’au bout des seins / Ayant réussi l’amalgame/ De l’autorité et du charme / Femme, femme, être fe-emme…». Désolée, les filles. C’était lui ou moi.