Sempiternel malentendu

Samedi dernier, au fest-noz, pendant le passage de Loened Fall: de là-haut, j’aperçois une toute jeune femme, titubant sous l’action conjointe de son taux d’alcoolémie et de ses talons aiguilles – les seconds un rien trop ambitieux pour la générosité du premier – tenter de rentrer dans la danse avec enthousiasme. Hélas, la malheureuse n’y connaît tellement rien qu’elle essaie de rentrer… à la gauche d’une chaîne, c’est-à-dire devant le meneur. L’unique endroit d’où elle est susceptible de gêner l’ensemble des danseurs. Qui naturellement ne la laissent pas faire – et je ne peux leur jeter la pierre (tout au plus persiflerai-je, en bonne vieille schnocke, que s’ils avaient dansé en ronde ce ne serait pas arrivé, hin hin hin!) (1). Tout en chantant je la vois qui finit par renoncer et je me dis qu’hélas elle va grossir les rangs de ceux qui accusent les danseurs de fest-noz d’être des sectaires sans indulgence…


Ô mademoiselle aux talons hauts: la prochaine fois, essayez (presque) n’importe où ailleurs et vous entrerez sans problème…


Ô vous tous qui, comme cette jeune fille, n’osez entrer dans la danse que quand l’alcool vous en donne l’audace ou la simplicité, comprenez seulement qu’il y a dans un plin ou une gavotte, comme dans toute forme d’ensemble humain, quelques règles de base. Elles ne sont pas nombreuses, et s’il est vrai que certaines d’entre elles sont le fruit d’une calcification d’usages même pas si anciens que ça et que l’on pourrait effectivement remettre en question (comme cette loi d’airain qui interdit à deux hommes de danser côte à côte en dehors d’un concours de danse), la plupart d’entre elles visent seulement à assurer le bonheur de tous les participants… Et n’y réussissent pas trop mal. En gros: laissez-vous faire et faites-nous confiance! Si on vous refuse l’entrée, ce n’est pas qu’on vous déteste, c’est probablement que vous êtes en train d’essayer là où il ne faudrait pas: au milieu d’un couple, par exemple. Si vous vous faites larguer après un moment de danse maladroite, ce n’est pas qu’on vous méprise, c’est qu’à bouger à contretemps il arrive qu’on fasse mal à son voisin, ou tout bêtement qu’on lui gâche son plaisir pile le jour où il en avait vraiment, vraiment grand besoin… (Bien sûr il se peut aussi que vous soyez tombé sur un abruti. Ça me fend le cœur, mais je crains qu’il y en ait la même proportion parmi les danseurs que dans le reste de la population mondiale. Ce qui est, du reste –  le monde n’étant pas non plus peuplé de crétins odieux –,  la raison pour laquelle ce cas n’est vraiment pas le plus probable.)



Mais Ô amis danseurs: ne sous-estimons pas non plus la violence qu’il y a, pour quelqu’un qui surmonte enfin sa timidité (et n’est-ce pas là la motivation principale des plus spectaculaires grammages?) et se met en position de vulnérabilité en demandant l’entrée dans un plaisir que les autres partagent, à se la voir refuser pour des raisons inconnues… Ce n’est pas toujours possible, mais merci à ceux d’entre vous qui tentent d’expliquer, de guider – ou qui endurent avec bonhomie le juvénile éméché qui leur démet le petit doigt avec entrain. Vos cartilages auront souffert pour une bonne cause! (La danse bretonne? Non, l’humanité. La générosité, la compréhension, la tendresse pour un inconnu… C’est-à-dire, peut-être bien, un des ingrédients majeurs d’une belle gavotte.)








  1. (1)Ouiiii, je sais bien qu’il faut varier les plaisirs. Décréter qu’il n’est de bonne danse qu’en ronde n’est pas la plus créative des prises de position. C’est seulement que, tant comme danseuse que comme chanteuse, mes plus grandes émotions ont toujours eu lieu dans de belles et fortes rondes… Forme essentielle, on ne me l’ôtera pas de l’idée, des danses que je pratique.