Rhinopharyngite

“Qu’est-ce qui se passe quand vous êtes malade?” demande-t-on parfois à l’Artisse. A quoi l’Artisse répond “je tâche de ne pas être malade.”


Bien sûr, l’Artisse plaisante. Quoique.


(Dans tout ce qui va suivre je ne parle, bien sûr, que des affections dont la guérison se chiffre en jours. Les maladies graves touchent à de tout autres mystères.)


Pour un chanteur, le plus banal des rhumes est évidemment un problème, sabotant l’instrument, et par là les repères les plus intimes. La confiance ne tarde pas à suivre: ne pas disposer de sa voix telle qu’on pense la connaître donne un sentiment d’impuissance et de diminution difficile à imaginer pour ceux des non-chanteurs qui ne sont jamais cassé une jambe.


Il faut dire aussi qu’un des sens de la réponse de l’Artisse, c’est que la plupart du temps, malade ou pas malade, il faut y aller tout de même parce qu’il n’y a tout bonnement pas de plan B, ni côté employeur ni côté chanteur!


Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples que “quelle malchance, j’ai attrapé froid pile le jour de mon concert important”. Monter sur scène, c’est secouer violemment les rouages alambiqués de l’image de soi, et il arrive qu’une partie de nous préfère la maladie, avec ce qu’elle fournit d’excuses, à la médiocrité… C’est souvent notre ego qui préfère pouvoir dire “j’ai mal chanté parce que j’étais malade” plutôt que “je ne sais pas chanter mieux que ça”!


Les psys appellent ça l’auto-handicap, et un jeune chanteur – ooooh, j’en sais quelque chose! –  n’est pas long à s’enferrer là-dedans propre et bien, se forgeant l’idée d’une sorte d’état de santé immaculé dans lequel il faudrait être pour bien chanter: pas de rhume bien sûr, mais aussi avoir bien dormi, n’avoir ni trop chaud ni trop froid, être au bon moment du cycle pour les filles, avoir le moral, et avoir bu ci et ne pas avoir mangé ça, etc.  Or comme le dit Dame Agnès Brosset (dans la classe de qui j’ai fait une bonne partie de mon apprentissage classique): “si on ne devait chanter que les jours où on est en pleine forme, on ne chanterait pas souvent!”. En d’autres termes, pour sortir du cercle infernal il faut comprendre que “donner le meilleur de soi” n’est pas synonyme de “réaliser sa meilleure performance”, et encore moins “LA meilleure”.


Figurez-vous que depuis que j’ai compris cela, je tombe bien, bien moins souvent malade pour les concerts… L’idée qu’un rhume n’absoudra ni ne décuplera mes faiblesses de chanteuse me mène à une hygiène de vie plutôt consciencieuse et, je le soupçonne, à une sorte de “veille” inconsciente. Rien de tout ça n’est une science exacte et il m’arrive d’attraper bêtement froid! Mais les fois récentes où je suis tombée malade sont celles où je n’avais pas bien évalué à l’avance, soit l’enjeu, soit tout bêtement le calendrier des temps de repos et de travail.


C’est ce qui s’est passé la semaine écoulée: après un mois de novembre bien rempli, j’ai surestimé le temps de relâche (deux jours!) qui me séparait des répétitions avec l’ensemble Mélisme(s), j’ai baissé la garde et crac. Rhinopharyngite des familles, à la veille de quatres journées de répétitions, et précisons qu’une journée Mélisme(s), c’est REELLEMENT six heures de chant par jour.


Alors elle fait quoi, l’Artisse malade? Le gros dos. Elle court ventre à terre chez son médecin, elle prend pieusement ses médicaments, elle roupille à la première occasion, elle tâche de mobiliser tout ce qu’elle sait de technique vocale pour que le travail agresse le moins possible un instrument fragilisé. Et surtout elle admet que c’est comme ça, que dimanche elle chantera avec sa voix en l’état, ni plus ni moins. (Elle admet aussi que parfois il devienne nécessaire de se taire un moment!) Et elle tâche de relativiser cet affreux sentiment de paralysie (vous savez, les cauchemars où on essaie en vain de courir ou de crier?), en se rappelant que la Terre n’arrête pas de tourner et que dans quelques jours il n’y paraîtra plus…