Nuit de vent: réminiscence décentralisée

Il est 6 heures du matin, je suis maintenue éveillée par les effets conjoints du spectacle à venir, qui s’écrit tout seul dans mon cerveau sans respect des heures ouvrables, et de grosses bourrasques de vent qui viennent une fois de plus d’inciter ma misérable mini-serre à prendre une indépendance au-dessus de ses moyens. Baste, on ne peut pas à la fois se réjouir d’entendre la mer par nuit calme et se plaindre d’être exposé au vent.


Du reste, comme la majeure partie des enfants de la côte (ceux qui n’ont personne en mer, s’entend!), je l’aime, le vent. J’ai grandi avec, j’ai joué à grimper sur la colline pour aller le chercher, à suffoquer face à lui, à m’arcbouter ou à me laisser peser en diagonale sur sa poussée. J’étouffe quand il s’absente, je revis quand il revient, je suis chez moi partout où il a goût de sel (oh, cette immédiate sensation de familiarité au premier pas hors du train à Marseille!).


Sauf qu’il y a eu octobre 1987.


Si vous n’habitiez pas alors les Bretagnes grande ou petite, vous n’avez peut-être jamais entendu parler de la tempête de 87. Cette nuit-là, des toitures ont volé, des bateaux se sont retrouvés dans les champs, des hectares de forêt sont tombés. Cette nuit-là, j’ai entendu un chêne casser. Un grand chêne, trop haut pour sa propre santé, dont le tronc a cédé dans un énorme et bref grincement.


Le lendemain matin, à la fenêtre de ma chambre, aucun arbre n’était à la place ou dans l’état où je l’avais vu la veille au soir.


Un des réflexes qu’on a, un matin pareil, est d’allumer la radio: pour se relier au monde, pour situer la catastrophe, pour savoir s’il faut se préparer à autre chose. Mais le premier titre du journal fut “Forte tempête… sur la Bourse”. Voilà:  un mini-krach financier condamnait notre catastrophe naturelle à l’inexistence! Le vent avait tué en Angleterre, mais il nous fallut attendre les jours suivants pour que l’info nationale s’aperçoive qu’à l’Ouest, il y avait du nouveau…

J’avais treize ans, je n’ai pas fait une revue de presse complète; peut-être, sûrement même, d’autres média ont-ils eu plus d’attention pour nous que la radio préférée de mes parents. Mais je garde de ce matin une drôle d’amertume, même si je pense que l’évolution de l’info est telle qu’une indifférence de ce calibre ne serait plus possible aujourd’hui.

Et, je le confesse, lorsqu’en 99 une tempête du même genre a balayé l’Ile-de-France, une part de moi compatissait en connaissance de cause, mais l’autre part ne pouvait pas s’empêcher de ruminer des “ça y est, maintenant ils vont savoir ce que ça fait”.


Tiens, ça va faire vingt ans en octobre! Vingt ans que notre cher vent nous a appris que parfois ses jeux tournaient à l’aigre; et vingt ans que j’appelle de tous mes voeux le jour où la presse nationale française l’entendra aussi fort, qu’il souffle à Brest ou à Vincennes…


(PS: Ah, et tant que j’y suis, peut-être que ce jour-là le pays entier recevra moins de captivants reportages sur des sujets de pertinence aussi planétaire que Paris-Plage et le plan de circulation des voies sur berge?)