*Eau chaude et dame blanche

Quand je travaille, je bois de l’eau chaude comme un poivrot du gros rouge: sans soif et à tout bout de champ. Thés, tisanes, chicorée, n’importe quoi pourvu que ça infuse – enfer de l’artiste pris au piège de la dépendance! Je laisse derrière moi, en répétition, un sillage de mugs cerclés de tannin et de sachets détrempés trois fois.


Il est actuellement 21h30 et l’eau de ma quatorzième tisane est en train de ronronner dans la bouilloire, c’est vous dire si la journée fut active.


C’est que je me frotte à une responsabilité nouvelle: pour la première fois me voici dans les bottes du “regard extérieur/conseiller artistique” dans le projet de quelqu’un d’autre. Je ne chante pas: je regarde et je suggère.


L’invitation est venue de deux collègues chanteurs du pays gallo, Sylvain Girault (chanteur notamment de Katé-Mé) et Pierre Guillard (grand collecteur du pays nantais); ils s’allient au flûtiste/sonneur Erwan Hamon (un des Hamon de Hamon-Martin) et au joueur de ‘oud et de contrebasse Fabien Gillé pour “La Dame Blanche” un spectacle sur le thème du légendaire chrétien dans le répertoire de Haute-Bretagne. (Avec le soutien actif de Musique et Danse 44 et du centre culturel Le Préambule.)


Que les traumatisés du catéchisme et les allergiques à la soutane se rassurent, avec une telle équipe il n’y a aucun danger de bigoterie! (Mais que les chrétiens dorment tranquilles, on ne va pas les mordre non plus.) C’est simplement d’imaginaire qu’il est question, et même d’images, toutes en couleurs, en naïvetés et en forces…et pas toujours si catholiques que ça: St Nicolas rend à la vie un enfant changé en cendres, la Vierge en larmes crie vengeance au pied de la croix, avant d’apparaître bien étrangement à une petite bergère à qui elle ne portera pas chance; quant à la dénommée Ste Emérance, ses représailles raffinées mettent en œuvre du lait, un fromage, un chat noir, une biche et un précipice. Même la pauvre Ste Catherine, décapitée au sabre par son mécréant de père et condamnée en prime à une éternité de refrains pompiers (ah, le “A la zim boum boum, à la zim la la” de ma propre mère!), trouve ici une place inespérée qui me met en joie!


Prises individuellement, ces chansons (et histoires car Pierre raconte également) sont, pour beaucoup, indéfendables. Mais les rapprocher ainsi en un programme entier neutralise leur fond religieux et nous laisse libres d’apprécier les formes, les émotions, les tableaux… ainsi que, en transparence, le monde qui leur a donné naissance: un monde où l’on parle aux statues des saints, où l’on sert le muscadet dès le matin et où chaque champ a son nom.


Bref, je crois qu’il y a là un pari assez culotté et toute la matière à le réussir. Les lumières de Sam Mary (qui seront réinventées pour chaque nouveau lieu, puisque l’idée est de jouer en acoustique dans des églises et des chapelles) jouent d’un naturel surréaliste comme de la plus franche magie. De mon côté je fais de mon mieux pour être à la hauteur de la confiance qui m’est faite… Nous travaillons ensemble une semaine, c’est peu mais c’est déjà plus de liberté que l’urgence ordinaire: un peu de temps pour tester, trier, discuter, pour se permettre des regrets tout de suite et s’en éviter plus tard. Le temps d’une bonne infusion, quoi!





“La Dame Blanche”, chants légendaires, Girault-Guillard quartet, création le 19/09 (je ne peux pas y être, c’est malin!), à Ligné (44). Si vous y allez, saluez de ma part la Ste Marthe qui terrasse la Tarasque en toute sérénité au-dessus du chœur!