…de lire Musset

Ce n’est pas que je lise les classiques français tous les matins en buvant mon thé (soit dit en passant, je n’ai hélas jamais lu Pétrarque non plus);  c’est qu’il y a parfois des lignes qui vous viennent aux lèvres, et vous font vous lever pour relire le poème entier.


Je remercie le hasard bouquiniste qui mit un jour sur mon chemin une édition complète de la poésie de Musset (dans un grand album broché de l’entre-deux-guerres, qui ne paie pas de mine mais sent bon le pain chaud): il y a le grand Musset d’anthologie, grave et chétif comme un Romantique qui se respecte, mais il y a aussi le Musset prompt à l’ironie douce-amère (quelqu’un qui écrit “J’ai perdu jusqu’à la fierté / Qui faisait croire à mon génie” peut-il être un fat?) et à la parodie, l’admirateur d’autres artistes, et celui qui sait ouvrir sur les profondeurs d’un instant:


A M. REGNIER de la Comédie Française, après la mort de sa fille:


Quel est donc ce chagrin auquel je m’intéresse?

Nous nous étions connus par l’esprit seulement;

Nous n’avions fait que rire, et causé qu’un moment,

Quand sa vivacité coudoya ma paresse.


Puis j’allais par hasard au théâtre, en fumant,

Lorsque du maître à tous la vieille hardiesse,

De sa verve caustique aiguisant la finesse,

En Pancrace ou Scapin le transformait gaiement. 


Pourquoi donc, de quel droit, le connaissant à peine,

Est-ce que je m’arrête et ne puis faire un pas,

Apprenant que sa fille est morte dans ses bras?


Je ne sais. – Dieu le sait! Dans la pauvre âme humaine,

La meilleure pensée est toujours incertaine,

Mais une larme coule et ne se trompe pas.




Et il y a l’ami:


A ALF. T…


Qu’il est doux d’être au monde et quel bien que la vie!

Tu le disais ce soir par un beau jour d’été.

Tu le disais, ami, dans un site enchanté,

Sur le plus vert coteau de ta forêt chérie.


Nos chevaux, au soleil, foulaient l’herbe fleurie;

Et moi, silencieux, courant à ton côté,

Je laissais au hasard flotter ma rêverie;

Mais dans le fond du cœur je me suis répété:


– Oui, la vie est un bien, la joie est une ivresse;

Il est doux d’en user sans crainte et sans soucis;

Il est doux de fêter les dieux de la jeunesse,


De couronner de fleurs son verre et sa maîtresse,

D’avoir vécu trente ans comme Dieu l’a permis,

Et, si jeunes encor, d’être de vieux amis.



Vers mineurs – l’horrible mot, et l’horrible classement! –  sans doute; mais vers qui vous serrent la gorge, francs et précis comme des chansons, et qui comme des chansons vous restent en mémoire et vous reviennent – par exemple un joli matin de fin juin, alors que vous prenez le petit déjeuner en heureuse compagnie, que la brise est tiède et que le jardin fredonne…