Abbey Lincoln est morte samedi

Je ne l’ai jamais vue en chair et en os, mais elle m’avait fait pleurer devant ma télévision tant il y avait de vérité dans la moindre de ses actions: déjà septuagénaire, elle ne «faisait» rien d’autre en scène que ce qui devait être fait à cet instant précis, s’asseoir, se lever, chanter. Si elle bougeait une main, c’était qu’il fallait bouger une main à cet instant. Et cette absolue simplicité, cette épure complète qui ne s’habillait même pas de la stylisation qui masque trop souvent les choses soi-disant dépouillées, donnait au geste, à la voix, une puissance elle aussi absolue, sereine, à couper le souffle. 


Voilà, Abbey Lincoln n’est plus. Mais j’ai l’impression qu’elle aura eu le temps de comprendre quelque chose qu’une morveuse comme moi devra chercher encore longtemps. Est-ce la naïveté de mon (relativement) jeune âge qui me donne ce sentiment, et qui me fait espérer très fort vivre assez pour parvenir, moi aussi, à effleurer cet essentiel?