Merci Marcel (Proust)

«…Et quand l’avis de Bergotte était ainsi contraire au mien, il ne me réduisait nullement au silence, à l’impossibilité de rien répondre, comme eût fait celui de M. de Norpois. Cela ne prouve pas que les opinions de Bergotte fussent moins valables que celles de l’ambassadeur, au contraire. Une idée forte communique un peu de sa force au contradicteur. Participant à la valeur universelle des esprits, elle s’insère, se greffe en l’esprit de celui qu’elle réfute, au milieu d’idées adjacentes, à l’aide desquelles, reprenant quelque avantage, il la complète, la rectifie; si bien que la sentence finale est en quelque sorte l’œuvre des deux personnes qui discutaient. C’est aux idées qui ne sont pas, à proprement parler, des idées, aux idées qui, ne tenant à rien, ne trouvent aucun point d’appui, aucun rameau fraternel dans l’esprit de l’adversaire, que celui-ci, aux prises avec le pur vide, ne trouve rien à répondre. Les arguments de M. de Norpois […] étaient sans réplique parce qu’ils étaient sans réalité


in Marcel Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs (Folio Classique).




(Ne croyez pas que je relise La recherche pour la 3e fois: nenni, je découvre, len-te-ment, et vous voyez que je n’en suis qu’au deuxième tome. Mais je maudis tous ceux qui m’ont si longtemps donné à croire que Proust était illisible et/ou purgatif. C’est la première fois que je corne les pages d’un livre pour être sûre d’en retrouver des passages! Et accessoirement, pourquoi nul ne m’avait-il parlé de l’humour de Proust? Ce n’est sûrement pas son argument principal, mais est-ce un secret honteux pour autant?)