Fest-noz is not dead

6000 entrées à Yaouank, le grand fest-noz rennais, samedi dernier… Et du monde dès la fin d’après-midi, et du monde en pleine forme, avec une belle énergie… De quoi mettre du baume au cœur de tout ceux qui, comme moi, s’agacent d’entendre répéter que le fest-noz est un genre moribond.


L’avenir nous dira si nous avons raison de croire que le fest-noz fait l’objet d’engouements cycliques, et que nous sommes, en ces années 2000, dans un creux comparable à celui qui dans les années 80 avait fait suite à l’exubérance de la décennie précédente. Il me semble en tout cas parfaitement raisonnable de penser que la folie furieuse des années 90, où la seule mention de “fest-noz” sur une affiche suffisait à déplacer plusieurs centaines de gens, et où l’on arrivait aisément, pour peu que ladite affiche ait comporté un des groupes phare du moment, à des nombres d’entrées à quatre chiffres, cette folie-là ne pouvait pas devenir constitutionnelle. Il faut bien que les gens se reposent, que les jeunes prennent le temps de pouponner, que les lycéens partent faire leurs études! Mode il y avait, et le propre d’une mode est de décroître tôt ou tard… avant de revenir.


Tout ça est, au fond, une histoire bien basique d’offre et de demande: une demande soudainement goulue avait engendré une offre pléthorique qui s’est trouvée le bec dans l’eau lorsque la demande a commencé à diminuer. A quoi il faut ajouter un relatif vieillissement du milieu associatif, avec fatigue à la clé.


Bref, il faudrait se croire vraiment au pays des Bisounours pour ne pas admettre que la planète fest-noz, depuis quelques années, n’est pas au mieux de sa forme.


Pour autant, il ne faudrait pas non plus enterrer le patient quand il n’a qu’une bronchite! Il y a un décalage entre ce dont nous sommes témoins et la lecture que nous tendons à en faire. On entend souvent dire “il y a de moins en moins de monde dans les festoù-noz”. Il n’existe pas, que je sache, de statistiques fiables, mais je ne crois pas que cette affirmation soit exacte. Ce qui est vrai, c’est qu’il y a en moyenne moins de monde aujourd’hui QU’IL Y A DIX ANS. Mais je ne crois pas qu’il y en ait moins que l’année dernière, ni même qu’en 2003 ou 2004… Nous voyons, nous, des fêtes qui réalisent le même nombre d’entrées (voire une légère hausse!) depuis plusieurs années. Quant aux variations d’humeur des publics, tantôt effervescents, tantôt plus lourds à mettre en branle, elles ont toujours existé… Je soupçonne que, tout à notre sentiment de morosité, nous versons à charge tous les ratés que nous omettions dans l’euphorie des années 90.


Bref, à mon avis, nous n’assistons pas à une chute libre sans fin, mais à une stabilisation en bas de la fourchette, dix ans après en avoir connu les sommets. Et nous noircissons nous-même le tableau en persistant à comparer l’année en cours non à la précédente mais à un point plus lointain de l’histoire…


Nous autres musiciens professionnels le noircissons peut-être d’autant plus que notre situation à nous est plus sombre: la réforme de 2003 (du régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle) est venue brutalement nous réclamer plus de contrats à l’instant précis où nous en avions moins, entraînant une hécatombe qui se poursuit encore aujourd’hui. Pour les assos, la retombée du chiffre moyen des entrées a fait que la poule aux œufs d’or d’hier est aujourd’hui une opération plus ou moins rentable seulement; en conséquence, certaines ont tout bonnement arrêté d’organiser des festoù-noz, d’autres pensent jouer la sécurité en montant des soirées bien plus petites avec des groupes payés au noir (un calcul qui paye rarement car ces groupes attirent peu de monde, ce qui nourrit l’idée que “les gens ne viennent plus”…). Nos cotisations sociales sont allées de hausse en hausse, augmentant notre coût sans augmenter nos salaires… Il faut ajouter à cela qu’une minorité d’organisateurs ne s’embarrassent pas de scrupules pour profiter de la faiblesse dans laquelle ils savent les musiciens: propositions inacceptables, annulations de dernière minute, engagement oraux non tenus…


Il est donc vrai que pour nous le ciel est bien noir. Mais si nos difficultés et celles du fest-noz en tant que tel sont évidemment liées, si elles ont une très large intersection, elles ne se confondent pas pour autant. C’est plutôt la triste collision de ces deux problématiques qui les a imbriquées l’une dans l’autre, menant à la situation actuelle.


Il ne s’ensuit pas pour autant que le fest-noz n’ait plus rien à dire. Des danseurs? Il y en a toujours – 6000 hier soir! Des organisateurs passionnés, désireux de se faire plaisir, d’apporter de la joie chez eux, de soutenir les artistes… et de respecter la législation du travail? Il y en a toujours, jusque dans les plus humbles comités des fêtes. Croasser que le fest-noz est mort, c’est faire le jeu de tous ceux que l’associatif dérange, que la réunion spontanée inquiète; tous ceux qui rêvent de cadres et d’échelles. 6000 danseurs au Muzik’hall de Rennes, 300 à la salle des fêtes du Vieux-Marché? Je ne sais pas quelle forme cela prendra à l’avenir, mais je suis convaincue que nous n’avons pas fini de nous retrouver le samedi soir, avec cette chaleur, cette énergie et cette évidence qui mettent – aujourd’hui aussi bien qu’en 98! – les larmes aux yeux des visiteurs.